Johnny Cash - At San Quentin
Contexte et decorum: Cash est en 69 un habitué des concerts en prison, et c'est la troisième fois qu'il vient à San Quentin. Cash est l'homme en noir. Cash traîne une réputation de southern boy accroché aux amphétamines (même s'il est maintenant sobre).
Bref, Cash est Cash.
Créer la connivence
Même s'il ne fréquenta jamais de pénitencer, Cash est comme un poisson dans l'eau au milieu des détenus. Origines prolos, gout pour la défonce et la violence... il ne leur parle pas comme une star a son public, ni même comme à des détenus, mais comme un col bleu à d'autres cols bleus.Par ces interventions constantes, ses blagues et ses provocations, il parvient immédiatement à créer la connivence avec son auditoire, d'autant plus que c'est donc la troisème fois qu'il vient chanter ici. Ainsi il enchaîne les propos fuck the world (le concert est filmé pour une chaîne anglaise, qui selon ce que Cash explique aux taulards, lui a demandé de "faire cette chanson-là, cette chanson-là, etc.". Commentaire de Cash: "j'en ai rien à foutre, je suis ici pour jouer ce que vous voulez et ce que je veux! Alors qu'est-ce que vous voulez entendre?! " Le public est en feu...
Tout au long du concert, ce ne sera qu'éclats de rires, sifflets d'approbation et applaudissements.
Le plus fort étant que jamais Cash ne cherche à forcer le trait, genre "vous et moi on est pareil". Il parle de sa seule et unique nuit en cabane, de ses chaussures chères, etc. Il ne fait pas semblant. L'alchimie fonctionne car tous ces types viennent du même univers, ils ont seulement suivi des trajectoires différentes.
Souffler sur les braises
Cash multiplie les chansons parlant de crimes ou de prison. Il réclame de l'eau et fait une variante de son sketch habituel. Il enchaine les blagues sur les flics et les matons, comme dans l'hilarante Starkville City Jail. L'apogée est atteinte avec la chanson San Quentin, écrite "la veille". Le texte évoque le pénitencier du point de vue d'un taulard: "San Quentin, que crois-tu que tu fais de bien", "San Quentin puisses-tu pourrir et bruler en enfer", "San Quentin, je déteste chacun de tes centimètres carrés" "puisse tes murs tomber et puis-je être vivant pour le raconter"...
Les prisonniers exultent, hurlent, approuvent à grands cris et réclament immédiatement un bis..On n'ose pas imaginer la gueule des matons, le doigt se rapprochant doucement de la détente du fusil, la trouille au ventre que tout ce bordel finisse en émeute.
Boom-chicka-boom
Mais ce qui dirige ce concert d'un bout à l'autre, c'est l'énergie de Cash, cette énergie folle et vibrante qui émane de sa voix, et qui, 30, 40 ou 50 ans après, éléctrise toujours l'auditeur.
Sans parler de la puissance de ce rythme simple et si particulier, boom-chicka-boom, dont Cash, quand on lui demandait comment les Tennessee Two et lui avaient mis au point ce son, disait qu'ils n'étaient tout simplement pas capable de jouer "mieux".
Le groupe fonce à toute blinde, les chansons sont déroulés à une vitesse folle, bien loin du rythme tranquille des versions studios, et l'électricité dynamite le tout.
Ecoutez cette version de Wreck of the old '97 au tempo insensé, les cris de Cash sur les refrains que Carl Perkins martyrise à la guitare.
Plus qu'un chanteur, voir un performeur, Cash est un MC, dans le sens original de Maître de Cérémonie: il tient son public, maîtrise en permanence le spectacle, capable d'emmener le show au bord de l'explosion ou de l'imprégner de gravité et de sérieux pour les morceaux reigieux ou encore l'évocation de feu Luther Perkins...
Les morceaux d'anthologie sont nombreux, ils perforeront vos tympans et vous ne les oublierez jamais, du drôlatique Boy Named Sue que Cash habite totalement au puissant San Quentin ou cette incroyable version de Folsom Prison Blues.
Même la pochette est superbe, et s'associe au contenu pour faire de cet album l'un des plus grands enregistrements live de la musique populaire. Dans le même genre, le seul disque que je vois pouvoir concurrencer At San Quentin serait... At Folsom Prison, enregistré par Cash l'année précédente, mais ce sera pour un autre article.
Tout est dit.
P.S. Pour juger la bête sur pièce: le documentaire (maladroit) tourné par la chaîne de télé anglaise est visible ici.